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Une simple affiche en bois ?

21 Juil 22
admin
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Écrit par Delia Oltean –

Entre toutes sortes de trésors et de planches de bois se trouvait une grande affiche en bois au message à peine perceptible… 

Enfouie au fond de la grange de la Maison Hurtubise, ce n’est qu’autour des années 2010 que cette découverte a été faite. Telle une pépite d’or qui n’a pas encore été raffinée, l’affiche a été sortie de la grange et amenée chez une restauratrice. C’est petit à petit que les lettres sont apparues jusqu’à nous révéler :

« Lots for Sale on Hurtubise and Westmount Aves. Apply on promises or 432 Board of Trade »

Cette trouvaille vaut bien plus que ce qu’on pourrait penser de prime abord concernant une simple affiche en bois oubliée dans une grange. Cette affiche n’est ni plus ni moins que la représentation parfaite d’une période de transition de la famille Hurtubise. Ayant été des agriculteurs depuis la construction de la maison en 1739, le gagne-pain de la famille a évolué au fur et à mesure du temps faisant passer la maison d’un milieu rural à un autre urbain où l’agriculture n’y avait désormais plus sa place. 

Au tout début, en 1739, c’était la culture des céréales qui constituait l’emploi des membres de la famille. Des années plus tard, découvrant la culture des fruits et des légumes (culture maraîchère), la famille a laissé tomber progressivement les céréales jusqu’à ce que toute activité agricole cesse par suite du développement des terres de la Ville de Côte-Saint-Antoine (ancienne Ville de Westmount) en lots pour résidences. 

Ce changement d’usage des terres ne s’est cependant pas produit en un jour. Il s’est plutôt inséré dans l’agriculture qui s’y faisait encore à ce moment-là. Pour plus de précision, c’est en 1846 que se produit la première vente d’un lot de terre des Hurtubise. Cédé à Hugh Ramsay, un éditeur et libraire anglais, le lot vendu a marqué le début du développement résidentiel pour la famille. En 1873, une grande partie de la ferme en bas du chemin de la Côte-Saint-Antoine a été vendue à Ephrem Hudon, laissant ainsi une superficie beaucoup trop petite pour être en mesure d’en faire l’exploitation agricole. C’est un tournant pour le quartier de Côte-Saint-Antoine qui commence à se développer de plus en plus en un secteur urbain. 

Autour des années 1890 et 1900, les membres de la famille Hurtubise deviennent des professionnels prospères qui n’ont plus aucun contact avec l’agriculture. Ils se concentrent sur la vente des terres qu’il leur reste et qu’ils divisent en plus petits lots servant au développement résidentiel. Il n’est pas du tout hasardeux d’affirmer que la Ville de Westmount se développe au courant de ces mêmes années et que toute la région devient progressivement urbaine, poussée par de nombreux projets municipaux. 

Encore observable aujourd’hui, un reliquaire témoignant de cette époque de transition se trouve être la grange. Construite vers les années 1890, il semble qu’elle soit devenue une remise à calèches pour la famille qui n’avait plus besoin d’une grange traditionnelle servant à protéger la récolte agricole. L’utilité différente de la grange va parfaitement de pair avec la nouvelle vocation de la terre des Hurtubise, soit leur simple lieu de résidence. 

La dernière génération d’Hurtubise habitant dans la maison n’était pas que de simples professionnels puisqu’une grande partie de leurs intérêts allait vers les arts et la culture. Lorsque Léopold Hurtubise a acquis la maison en 1909, il a souhaité entreprendre des travaux de rénovation qui ont débuté en 1911. C’est ainsi que l’intérêt que Léopold Hurtubise avait pour les arts s’est aussi mêlé aux rénovation, notamment dans la galerie avec son architecture de style beaux-arts. 

À la suite de rénovations, la maison s’est transformée en ce qu’on pourrait qualifier de « villa ». L’argent investi dans les travaux a fait augmenter sa valeur et la demeure, positionnée loin du centre-ville malodorant, faisait partie des caractéristiques d’une villa. Pourtant, que devient le terrain existant s’il n’est plus utilisé à des fins agricoles ? 

Rappelant un lieu de villégiature, le terrain prend une atmosphère champêtre et ne sert finalement qu’à la famille. Quelques photos témoignent de rencontres amicales qui devaient avoir lieu à l’extérieur de la maison. La famille est certainement loin du temps de la maison de ferme !

En ayant toutes ces informations en tête, il est beaucoup plus facile maintenant de comprendre pourquoi l’affiche en bois témoigne de cette période de transition importante dans la carrière des membres de la famille, ainsi que du changement de rôle de la maison et du terrain. C’est dans les quelques mots de l’affiche que réside toutefois encore un mystère… 

Autour des années 2010, alors que l’affiche en bois n’avait pas encore été découverte, la présidente de la Westmount Historical Association est venue faire part au directeur général de la Maison Hurtubise d’une information concernant le nom d’une partie de la rue Victoria. Il semblerait que la famille Hurtubise avait eu l’idée de nommer la partie de la rue Victoria qui se trouvait au nord du chemin de la Côte-Saint-Antoine « avenue Hurtubise ». Peu de temps après la venue de Miss Lindsay, le panneau de bois dans la grange a été découvert. Écrit en lettres noires, il y avait finalement une trace de « Hurtubise ave. » !

Quelques recherches supplémentaires ont épaissi le mystère puisqu’il ne semble pas qu’un tel nom ait été répertorié ailleurs. Une avenue portant le nom des Hurtubise ne peut donc être qu’une volonté de la famille ou un nom temporaire. Il reste encore à découvrir le fin mot de l’histoire… 

Néanmoins, une recherche historique faite en 2004 présente des éléments intéressants sur le début de la période de la vente des lots situés près de Wesmount Av., la situant possiblement vers 1885 – 90. Un petit fait anecdotique : le bâtiment du « Board of Trade » auquel l’affiche fait référence a brûlé en 1901 et été reconstruit ailleurs par la suite.

Sans une découverte telle que cette affiche en bois, une partie de l’histoire aurait disparu. Amenant des éléments qui ne peuvent être retracés ailleurs, l’affiche témoigne parfaitement du changement de la vie rurale à urbaine pour les membres de la dernière génération des Hurtubise. Ce n’est donc pas qu’une simple affiche en bois !