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Socialisation et accessibilité : La mode de la classe moyenne à Montréal durant les années 1900

20 Août 24
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Écrit par Ines Marchand

Au début du 20e siècle, l’Occident, après l’ère victorienne, entra dans l’ère edwardienne sous le règne d’Edward VII. Cette période, marquant une transformation majeure dans la culture, se distingua par une nouvelle sophistication et nouveau mode de vie, reflétant les changements sociaux et culturels de l’époque. La famille Hurtubise, résidant à Montréal durant cette période, fut témoin de ces changements, notamment à travers leur propre mode vestimentaire. Aujourd’hui, c’est en analysant les photos prises de la famille entre 1900 et 1905 que les tendances de l’époque nous permettent de situer socialement la famille au sein de cette époque effervescente.

Avant tout, il est nécessaire de décrire la mode de l’époque. La mode edwardienne, qui couvre la fin du 19e et début du 20 siècle, apporta des changements significatifs dans le style vestimentaire occidental. Montréal, alors en plein essor culturel, se positionnait comme un centre de mode au Canada avec ses rues commerçantes telles que Saint-Paul, Saint-James, Notre-Dame, et Sainte Catherine devenant des pôles de magasins alimentées par les manufactures locales naissantes.

Pour les femmes, la mode de l’époque se caractérisait par la silhouette en S. Alors que les femmes entraient de plus en plus dans le monde du travail, la silhouette victorienne fit place à cette nouvelle forme plus pratique. Afin d’acquérir cette silhouette, des sous-vêtements méticuleusement conçus étaient superposés sur le corps. Une chemise venait tout d’abord être portée ainsi qu’avec des culottes. Les corsets, souvent sur-mesure, venaient ensuite créer la silhouette en accentuant la taille et les hanches. Contrairement à la croyance populaire, ces corsets n’étaient ni inconfortables ni contraignants; ils offraient un soutient semblable à celui des sous-vêtements modernes tout en favorisant une posture élégante. Par-dessus le corset était mit un cache corset. Celui-ci affinait également la taille en mettant en valeur la poitrine, tandis que les jupons, avec leur effet de traine, continuant cette forme en S en dessous de la taille. Enfin, par-dessus était déposés les vêtements portés.

Les vêtements de jours fréquemment portés étaient soit des haut à manches longues, plus ou moins léger en fonction des saisons, accompagnées de jupes, soit des robes à formes similaires. Certains détails accompagnant la silhouette étaient les manches bouffantes, qui apparurent au début du 20e siècle, qui s’accentuèrent de plus en plus au fil des années. Les jupes avec boutons, qui se faisaient fréquentes également, se transformaient souvent en pantalons si besoin lors d’activités sportives. La mode edwardienne, bien qu’esthétique, marqua une évolution vers une monde toujours plus fonctionnelle pour les femmes.

Les vêtements tailleur pour femmes émergèrent également comme une tendance marquante, s’inspirant de vêtements masculins tels que le tailleur et les chemises à boutons. Les robes de soirées, quand à elles, conservaient cette silhouette en S, mais étaient généralement sans manches et présentaient des décolletés plus prononcés, reflétant une mode moins modeste que celle de jour.

Les accessoires de l’époque apportaient une touche de sophistication aux vêtements de tous les jours. Les chapeaux, soit canotiers ou ornées de plumes, se fixaient avec des épingles à chapeaux. Les chaussures en cuir à talons, inspirées de celles au style Louis XIV, présentaient des talons courbés et de nombreux boutons.

La mode masculine, bien que moins révolutionnaire, vit des ajustements notables. Les costumes trois pièces, populaire depuis le siècle précèdent, subirent peu de modifications. Les manteaux longs, appelés manteaux en « queue de pie, » se transformèrent en veste plus courtes et moins formelles. Les vestons, chemises, vestes et chapeaux (canotiers ou melon) pouvaient tous être retirés en fonction du degré de formalité requis. Les cols de chemises de l’époque, nommés « cols Impériaux, » étaient droit et formel, et pouvaient également être retirés.

Les photos de la famille Hurtubise illustrent encore aujourd’hui cette apparition de la mode edwardienne. Étant de classe moyenne et intéressée par les arts, la famille Hurtubise suivait et participait à la mode à travers leurs propres vêtements. Les photos nous permettent d’analyser et de comprendre comment les Hurtubise de la dernière génération restaient en accord avec la mode durant une époque riche en mode et changement à Montréal.  

Photo 1

Dans cette première image, le costume trois pièces porté par les hommes de la famille reflète les tendances de l’époque. Nous pouvons observer les vestons, les chemises et cols impériaux. D’un homme à l’autre, nous pouvons voir les différentes manières d’accoutré le costume en fonction des besoins et désires. La sobriété et couleurs sombres du costume mettent en valeur la mode de l’époque concernant le costume.

Photo 2

Cette deuxième photo met en lumière les différences générationnelles dans le costume et permet d’illustrer ce changement dans la forme de la veste. À gauche, nous pouvons retrouver un costume typiquement edwardien, avec la veste courte et le col impérial, tandis qu’à droite, nous retrouvons le veston et la montre qui y est accrochée accompagnés du manteau en queue de pie, typique du 19e siècle. Tandis que le plus jeune à gauche porte un chapeau canotier, l’homme plus âgé à droite porte un chapeau haut de forme, également typique du siècle précédent.

La femme présente sur la photo porte une jupe et blouse semblant imité le costume trois pièces tout en restant féminin, ainsi qu’un chapeau melon, originellement porté par les hommes. Sa ceinture est décorée, et elle semble porter un collier qui pourrait être une montre, sachant que les montres au poignet ne sont devenues populaires que bien plus tard durant le 20e siècle.  

Photo 3

L’élégance de la famille se démontre également à travers les vêtements protées par les femmes dans cette photo, notamment à travers les coutures et boutons des fermetures ne sont pas visibles. Cela permet une illusion de longueur dans la silhouette et qualité des vêtements. Pour la femme assise au milieu, les coutures se trouvent potentiellement sur son coté, tandis que les deux autres femmes autour d’elle ont surement les boutons de leur robe à l’arrière de celles-ci. Les bustes sont aussi accentués et les manches bouffantes bien présentes.

Les détails se trouvent dans les accessoires tel que les chapeaux hauts ornés de plumes ou sur certaines parties des robes. Les cheveux, quant à eux, sont coiffés haut sur la tête en chignon, mais moins serrées qu’au siècle dernier. Ces détails soulignent l’engagement vers l’esthétique épuré et sophistiqué de la mode edwardienne.

La fillette sur la photo, habillée comme une adulte mais avec les cheveux détachés, des vêtements clairs et une robe relativement courte, démontre une mode edwardienne également présente chez les enfants. Cet esthétique, évoluant en fonction de l’âge, permet de connaitre la tranche d’âge de l’enfant.

Photo 4

Toutes ces tendances et détails se trouvent dans cette dernière photo; les manches bouffantes, le costumes trois pièces, les détails brodés sur les vêtements, les hauts légers et légèrement masculins accompagnés de jupes longues, les bottes à boutons, et les cheveux haut coiffés. Les deux jeunes filles portent également des robes plus claires mais plus longues, leurs cheveux mieux coiffés, démontrant une tranche d’âge plus avancée.

Cependant, les vêtements portés par la famille Hurtubise ne reflètent pas seulement leur souci de style, mais aussi leur statut social. Les choix vestimentaires, tels que les coutures cachées et chapeaux ornés, ainsi que la mise en scène photographique, témoignent d’un investissement dans la mode et une volonté de maintenir une certaine apparence. La famille Hurtubise, bien que de classe moyenne, parvenant à allier esthétique et fonctionnalité, ainsi qu’achat et fait-main, tout en reflétant les tendances de l’époque.

En effet, des détails sur les photos montrent un statut social et des moyens financiers relativement élevés. Dans notre première photo, l’élégance raffiné des couleurs et des détails dans les vêtements suggère un pouvoir d’achat et mode de vie qui permettait de porter des vêtements clairs. Les vêtements blancs ou crème `étaient un signe de statut social, leur entretient nécessitant de ne pas effectuer des travaux physiques et donc de ne pas les tacher, une indication de travaux non physiques mais intellectuels chez les membres de la famille Hurtubise, une indication de leur statut social élevé.

La deuxième photo illustre l’effort de la famille pour rester en accord avec la mode de l’époque, avec la femme portant un semblant de tailleur masculin, une coupe fréquente chez la mode féminine.

Dans notre troisième photo, les coutures et boutons cachés des vêtements révèlent un savoir-faire couteux. Bien que celles-ci ne soient pas au summum de la tendance, ce souci du détail démontre tout de même un désir de suivre la mode edwardienne de l’époque. Les chapeaux portés viennent accentuer ce désir.

Finalement, notre dernière photo démontre le désir de la famille de rester en tendance au fil des saisons. Les vêtements vus sont en effet conçus pour être à la fois élégants et adaptés aux saisons. On y observe toujours les manches bouffantes, les bottes de cuir, les cheveux attachés, les vêtements claires pour les filles plus jeunes, et des hauts et chemises clairs décorés de dentelles. Cette adaptation reflète une attention particulière porté à l’image et une certaine habilité à acquérir l’image désirée.

D’autres détails, en revanche, démontrent notre théorie de détails fait main sur les vêtements des Hurtubise. Par exemple, dans première deuxième photo, la fillette porte une robe avec un col en dentelle et des manches ornées de broderie anglaise. La broderie, moins fine que la dentelle, indique une modification faite par la famille afin d’ajouter une touche de distinction. Cela montre un besoin de personnalisation, les vêtements pouvant être achetés comme tel surement trop chers pour la famille.

Ainsi, les vêtements de la famille Hurtubise révèlent donc non seulement leur souci du style, avec leur apparence soignée et élégante, mais aussi leur capacité financières et une envie de faire partie de la haute société malgré tout. La famille, malgré leur appréciation des arts, demeurait de classe moyenne. Il est donc probable, comme vu précédemment, qu’ils combinaient des vêtements faits-main ainsi que achetés, optant pour la modification d’articles de qualité afin d’obtenir l’effet désiré. Étant des membres actifs de la société, il est possible de spéculer que les Hurtubise fréquentaient les magasins de mode des rues marchantes telles que Saint Paul, Sainte Catherine, Saint James et Notre Dame. Les Hurtubise se procurait surement leur lin et coton à Dick John ou Canadian Colored Cotton Mills & CO sur la rue Saint James, leurs corsets à Barry Bros et Compton Corsets sur Notre Dame et Grenier C.J sur Sainte Catherine, leurs bijoux à Eaves Alfred sur Notre Dameet Eaves Eamund sur Saint James, et enfin leurs chaussures à Real LTD sur Notre Dame. Ils devaient aussi probablement fréquenter les tailleurs LaMontagne et Morgan & Henry sur Sainte Catherine.

En conclusion, l’analyse des vêtements et des photos de la famille Hurtubise nous offre donc un aperçu de leur statut social et de leur mode de vie, ainsi que celui de n’importe quelle famille de même classe social à cette époque. À travers les détails de leur habillement, allant des coutures aux chapeaux ornés, il est clair que la famille, bien que de classe moyenne, cherchait à refléter une image sophistiquée et élégante. Ainsi, leurs vêtements révèlent non seulement un désir de participer à la haute société malgré les limitations, offrant un éclairage sur leur place dans la société montréalaise de l’époque, mais également une affinité pour les arts, une démonstration de capacité de s’exprimer à travers le mélange de la photographie et de la mode, une narration subtile mais fascinante se révélant au travers des photos du Docteur Hurtubise.

Réferences:

Toutes les photos de vêtements, en dehors de celles de la Maison Hurtubise, proviennent des archives du Musée McCord Stewart, situé à Montréal.

Franklin, Harper. “1890-1899”. Fashion History Timeline, Last updated Aug 18, 2020. https://fashionhistory.fitnyc.edu/1890-1899/

Reddy, Karina. “1900-1909”. Fashion History Timeline, Last updated Aug 18, 2020. https://fashionhistory.fitnyc.edu/1900-1909/

Laver, James. “Costume and Fashion: A concise History”. Thames and Hudson, 2014.

Milford-Cottam, Daniel. “Edwardian Fashion”. Shire Publications, 2016.

Archibald, Kristy. “Montreal’s Garnment District Past and Present”. Nuvo Magazine, 2021. https://nuvomagazine.com/daily-edit/montreals-garment-district-past-and-present

BAnQ Numérique. « Collection d’annuaires Lovell de Montréal et sa région, 1842-2010 ». Consulte dernièrement aout 2024.